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2 septembre 2013

Réforme de l’enseignement : La confusion des responsabilités profite au Palais

KT ChroniqueTout a été dit, ou presque, sur le discours du roi du 20 août 2013. Le message, les mots, le ton et jusqu’à la portée du discours ont été analysés, scrutés, décortiqués et ont servi à livrer une vision de la volonté royale concernant la réforme de l’éducation nationale. Bref, le dossier de la réforme de l’enseignement devient une priorité pressante. Le développement du pays et sa paix politique et sociale en dépendent. L’élite marocaine et la rue se félicitent de cette prise de conscience « soudaine » et croisent les doigts pour que le royaume vive sa révolution éducative.

Tout a été dit, sauf peut-être, un soupçon d’instrumentalisation de la réforme de l’enseignement pour porter un coup politique au gouvernement en place. Mettons les points sur les i : que Abdelillah Benkirane se fasse tirer les oreilles par le roi au sujet de la lenteur de la réforme ne peut que réjouir tout marocain profondément convaincu de la nécessité vitale de sortir l’enseignement de son état comateux.

Toutefois, force est de constater que la violence du discours du roi est tellement inhabituelle qu’il est permis de se poser une question : pourquoi une telle raclée politique d’une violence inouïe alors que le gouvernement Benkirane ne peut être tenu responsable que d’un dixième du retard cumulé par ce dossier ?

Commençons par le début… à l’aube de l’intronisation de Mohammed VI. La question de l’enseignement est évoquée pour la première fois dans le discours d’ouverture de la session d’automne de la troisième année législative le 8 octobre 1999 sous le mandat du gouvernement de Abderrahman Youssoufi. Le roi y rappelle la volonté de réforme de son défunt père qui avait constitué une commission spéciale dans le but d’élaborer un projet de charte nationale pour l’éducation et la formation.

« Nous avons été informé de ses résultats (la commission spéciale) et avons constaté qu’ils sont conformes à notre vision qui est la notre d’un enseignement intégré dans son environnement, ouvert sur son époque, sans reniement de nos valeurs religieuses sacrées, des fondamentaux de notre civilisation, ni de notre identité marocaine dans toutes ses composantes », disait le roi dans son discours d’ouverture de la session parlementaire.

D’ores et déjà, il évoque la question lancinante de la gratuité de l’enseignement. Contrairement à ce qu’on croit, la question de la gratuité a été tranchée bien avant le PJD: l’enseignement restera gratuit pour tous au niveau de l’enseignement fondamentale, pour les couches sociales ne disposant pas de moyens et sera payant pour le reste. C’est le roi qui l’avait dit en rappelant que cela correspondait à sa vision de la réforme. En voilà la preuve dans le même discours du 8 octobre 1999:

« … nous avons tenu à ce qu’il demeure gratuit au niveau de l’enseignement fondamental. La contribution des couches à revenus élevés n’interviendra au niveau de l’enseignement secondaire que cinq ans après que la réussite de cette expérience aura été avérée, avec exonération totale des familles à revenus limités. S’agissant de l’enseignement supérieur, les frais d’inscription ne seront exigibles qu’après trois ans d’application du projet, avec l’octroi de bourses aux étudiants méritants démunis ».

Donc, quand Lahcen Daoudi, l’actuel ministre de l’enseignement supérieur et membre du PJD (Parti Justice et Développement), se hasarde à parler de l’abandon de la gratuité, il est dans la ligne politique de son roi.

Le roi présente donc les conclusions de la charte et pousse les parlementaires et le gouvernement à faire le nécessaire pour installer une politique de rupture tout en respectant sa vision de la réforme. C’était en 1999. Presque une année plus tard, la réforme de l’enseignement est citée, entre autres priorités, dans le discours du trône de juillet 2000. Nous sommes à la veille de l’élaboration du projet de loi des finances et le roi insiste pour que le gouvernement alloue les crédits nécessaires à la concrétisation des recommandations de la charte nationale :

« en entourant la charte nationale de l’éducation et de la formation de notre Haute sollicitude, nous incitons le gouvernement de Notre Majesté à diligenter sa mise en œuvre et à y affecter les crédits nécessaires. Nous insistons sur la nécessité de l’implication de tous les intéressés et leur mobilisation totale autour des objectifs de cette charte, sans surenchère ni susceptibilité, pour réussir sa mise en application ».

Cet impératif de la réforme, qui, sans aucun doute, ne plaisait pas à tout le monde, est accompagné par un geste politique. Le roi annonce la création de la fondation Mohammed VI des œuvres sociales des enseignants. Le message est clair : il y aura réforme qui se soldera par des chamboulements majeurs et bousculera des habitudes bien installées, mais, (la nouvelle rassurante) le roi s’occupera de la famille des enseignants. Autrement dit : le Palais ne veut pas de grève ou de contestation qui remettrait en cause la ligne directrice et le déploiement de la charte nationale de l’éducation et de la formation.

Deux ans plus tard, point de conclusions royales au sujet de la conduite de la réforme. En tout cas rien ne transperce dans les deux discours d’ouverture des sessions parlementaires de 2002 et 2003. L’enseignement y est évoqué comme une priorité parmi d’autres comme le soulignent ces mots tirés du discours de l’entrée parlementaire d’octobre 2002 :

« Il s’agit en fait, de quatre priorités, à savoir l’emploi productif, le développement économique, l’enseignement utile et le logement sociale ».

Il faut attendre le discours du trône de juillet 2004 pour ressentir une certaine lassitude dans les propos du roi, mais sans pour autant accabler son gouvernement. Rappelons qu’à cette date, le premier ministre n’était autre que Driss Jettou et Lahbib El Malki (USFP) occupait le poste de ministre de l’éducation nationale (on lui collera, en juin 2004, Anis Birou (Istiqlal) comme secrétaire d’Etat chargé de l’alphabétisation et l’éducation non formelle).

Et même si le dossier ne bougeait pas aussi rapidement que la rue le souhaitait, ni comme le roi le laissait entrevoir dans ses discours, les propos restaient, en tout cas en public, lisses et sans reproches enflammés. Mieux encore, le souverain accorde à son gouvernement une rallonge en terme de délai :

« Il est nécessaire désormais de consacrer les cinq années qui restent à rattraper tout retard enregistré dans cette réforme vitale,… »

Et lui donne main forte en installant une méga institution :

« Nous avons décidé de mettre en place le Conseil Supérieur de l’Enseignement, en tant qu’institution constitutionnelle, … ».

Le Dahir d’installation du Conseil Supérieur de l’Enseignement ne sera prêt qu’une année plus tard comme annoncé dans le discours du trône de juillet 2005 :

« Dans le souci constant qui nous anime d’en (la charte nationale) assurer une mise en œuvre optimale et de développer de la sorte nos ressources humaines, nous procéderons à l’installation du Conseil Supérieur de l’Enseignement, dont nous avons élaboré le Dahir… ».

Le gouvernement mené par Driss Jettou vivait ses derniers jours quand le roi prononce son discours du trône de juillet 2007. Il était temps, en principe, de faire le bilan de cinq ans de gestion de la réforme de l’enseignement. Pas la peine de revenir aux indicateurs chiffrés ni de rappeler le classement que les instances internationales accordaient au Maroc sur le plan social et éducatif pour avoir une idée sur l’état de ce secteur vital. Les mots du roi sont plus éloquents et plus crédibles.

« En dépit des efforts sincères qui ont été déployés pour assurer la mise en œuvre de la Charte d’Education et de formation, les résultats quantitatifs n’ont pas donné lieu à un changement qualitatif, … ».

En résumé, l’enseignement se cramponnait à sa médiocrité : inefficient et en déphasage par rapport aux attentes de l’économie marocaine. Driss Jettou et Lahbib El Malki s’en sortent sans dégât politique et ce malgré le bilan désastreux dans l’éduction nationale. Pourtant, ce gouvernement a été incapable de trouver des solutions définitives donnant une impulsion nouvelle à la réforme. D’ailleurs ces mêmes questions seront reprises dans le discours du roi et constitueront la feuille de route du gouvernement qui allait naître des élections de septembre 2007.

Pour le roi, les questions en suspens, étaient « la problématique du financement, la rationalisation de la gestion des ressources, les langues d’enseignements, la modernisation des programmes et des manuels scolaires, et la focalisation sur l’alphabétisation » (discours du trône de juillet 2007).

Après les élections de septembre 2007, Le parti de l’Istiqlal prend la tête du gouvernement. Le 15 octobre 2007, Abbas El Fassi est nommé Premier ministre. Il entame son mandat avec une lecture, ô combien juste et intelligente de la constitution, en affirmant en substance qu’il était là pour faire ce que le roi lui dira de faire.

Deux jours avant sa nomination, le 12 octobre 2007, le roi lui donne l’orientation à suivre en matière de réforme de l’enseignement. C’était à l’occasion de l’ouverture de la première session de la 1ère année législative du nouveau gouvernement :

« … nous appelons le prochain gouvernement à s'atteler sans tarder à la mise en place d'un plan d'urgence pour consolider ce qui a été réalisé, et procéder aux réajustements qui s'imposent, en veillant à une application optimale des dispositions de la Charte nationale d'Education et de Formation ».

A qui incombera cette tâche ? A Ahmed Akhchichine, le nouveau ministre de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Formation des Cadres, secondé par Latifa Labida au poste de secrétaire d’Etat chargé de l’Enseignement Scolaire.

En effet, Abbas El Fassi a fait ce que lui a dicté son roi, à commencer par la composition du gouvernement. Le Palais avait une idée plus au moins développée sur la méthode de la réforme et non pas sur son contenu :

le principe de base était de confier l’élaboration des stratégies sectorielles à des cabinets privés, soit internationaux, soit nationaux ayant une certaine crédibilité auprès du Palais. Les hommes (ministres) qui devaient réaliser ces études devaient être assez proches des têtes pensantes du Palais et assez dociles pour mener à bien ces projets en concerts avec les institutions tant officielles (conseil supérieur de l’enseignement pour le cas de l’éducation nationale) que non officielles (les conseillers du roi qui suivent ce dossier ou ce qu’on appelle le gouvernement de l’ombre). Ce qui explique la particularité de la composition du gouvernement El Fassi : mi politique, mi apolitique (ou mi partisan, mi inféodé au Palais).

Pourquoi insister sur ce qualificatif ? Pour couper court à l’idée de la nomination de technocrates, car hors le cas de Amina Benkhadra qui avait la charge du portefeuille de l’énergie et des mines, les autres ministres sans appartenance politique étaient presque tous sans aucune relation avec le secteur dont ils avaient la responsabilité. Certes, Ahmed Akhchichine faisait partie de la famille de l’enseignement supérieur, mais cet argument, à lui seul, ne le qualifiait pas à mener une réforme d’une telle envergure. Il avait plus que cela : il était, tôt en 2007, membre fondateur du Mouvement pour tous les démocrates, initiative ayant préparé (maintenant c’est un fait historique avéré) la création du Parti Authenticité et Modernité, et orchestrée par les hommes de l’ami du roi Fouad Ali El Himma.

Ahmed Akhchichine, fort d’une double confiance, celle du roi et celle de son ami proche, confia au cabinet Valyans la réalisation d’une étude stratégique sur l’enseignement au Maroc avec obligation de proposer deux livrables : un plan d’urgence et un plan à long terme. Ce qui était conforme à la volonté royale annoncée clairement dans son discours du trône datant d’avant les élections 2007. Donc l’idée du plan d’urgence ne vient pas du gouvernement, mais du Palais. D’ailleurs, au moment de la présentation du rendu, en septembre 2008, le ministre a rappelé que sa démarche était conforme aux directives contenues dans le discours royal de juillet 2007.

Le plan ne devait porter que sur trois ans 2009-2012. Les architectes du plan ont fait preuve d’intelligence en passant sous silence la question complexe des langues, des contenus ainsi que de l’approche pédagogique. Valyans en parle dans son rendu, mais la copie présentée au public (et à la pauvre presse notamment) ne recelait pas ces détails. Du coup, le plan d’urgence apparaissait comme un énorme plan immobilier. Son objectif était d’augmenter les effectifs des scolarisés, augmenter les lits dans les cités universitaires, augmenter les centres de formation professionnelle et mettre à niveau les établissements existants. Et c’est ce volet là que le ministre activera rapidement et y enregistra quelques avancées, plus au moins, discutables. Mais pas dans le reste, le plus important et le plus dur.

Attention, même le roi souscrit à cette lecture. Son discours à l’occasion du 59ème anniversaire de la révolution du Roi et du peule 20 août 2012, le démontre clairement :

« … nous devons revoir notre approche et les méthodes en vigueur à l'école pour passer d'une logique d'enseignement centrée sur l'enseignant et sa performance et limitée à la transmission des connaissances aux apprenants, à une autre logique fondée sur la réactivité des apprenants et axée sur le renforcement de leurs compétences propres et la possibilité qui leur est donnée de déployer leur créativité et leur inventivité, d'acquérir des savoir-faire et de s'imprégner des règles du vivre ensemble dans le respect de la liberté, de l'égalité, de la diversité et de la différence. … ».

Pour aller dans ce sens, le roi insiste sur l’activation du Conseil Supérieur de l’Education, de la Formation et de la Recherche Scientifique… Mais il n’en sera rien… jusqu’au discours du 20 août 2013. Le Palais a ainsi pris son temps pour trouver un remplaçant à Meziane Belefqih et, au passage, trouvé des excuses à l’ami de l’ami du roi :

« … surtout le gouvernement précédent qui a déployé les moyens et les potentialités nécessaires pour mener à bonne fin le Plan d’urgence, dont il n’a, d’ailleurs, entamé la réalisation qu’au cours des trois dernières années de son mandat ».

Or nous l’avons vu, le plan d’urgence a été présenté en septembre 2008 et devait être achevé en 2012. Les trois années dont parle le roi étaient, en toute logique, suffisantes pour démontrer l’efficience de l’équipe qui avait la charge de l’enseignement. Et le roi (ou ses conseillers) le sait pertinemment mais ne le dit pas ouvertement pour des raisons, sans doute, politiques. D’ailleurs, dans le même discours, il poursuit que :

« … Malheureusement, les efforts nécessaires n’ont pas été entrepris pour consolider les acquis engrangés dans le cadre de la mise en œuvre de ce Plan. Pire encore, sans avoir impliqué ou consulté les acteurs concernés, on a remis en cause des composantes essentielles de ce plan, portant notamment sur la rénovation des cursus pédagogiques, le programme du préscolaire et les lycées d’excellences ».

Dans cette partie du discours, il faut retenir deux volets essentiels : la consolidation des acquis et la consultation des concernés.

Qui devait consolider les acquis engrangés dans le cadre de la mise en œuvre du plan ? D’abord Ahmed Akhchihine et Latifa Labida qui devaient mener une reforme globale, avec des objectifs à la fois quantitatifs et qualitatifs. Mais ils ne l’ont pas fait. Ensuite Mohamed El Ouafa, l’actuel ministre de l’éducation nationale, qui, en mauvais politicien lâché par les siens, il a fait cavalier seul en auditant les réalisations du plan d’urgence. Une initiative louable, il faut le souligner, mais qui a été menée par le gouvernement de son propre chef. Les résultats de cet audit, présentés en commission parlementaire le 24 juillet 2012, accablent les prédécesseurs d’El Ouafa. Une chose de nature à exacerber tous ceux qui ont été impliqués dans ce dossier avant la nomination du gouvernement Benkirane.

En outre, le discours parle de remise en cause du plan d’urgence sans consultation des concernés. Qui sont ces concernés ? La famille des enseignants ? Certainement pas. Pour cause, au moment de l’élaboration du plan d’urgence, Ahmed Akhchichine avait eu l’idée, pas du tout mauvaise, de faire appel à un cabinet de lobbying pour faire adhérer les syndicats et la société civile à son plan. Le cabinet en question (Public Affairs and Services (PAS) de Hassan Alaoui, connu pour son magazine Economie & Entreprise) dirigé à l’époque par Kamal Taibi, avait entamé les démarches et élaboré une stratégie d’approche. Toutefois, et contre toute attente, le ministre a décidé de stopper net son partenaire lobbyiste et a pris l’initiative de présenter le plan au roi sans consultation des parties prenantes. Le Palais, comme l’histoire nous le démontre, n’y a trouvé aucune gêne en donnant sa bénédiction au plan.

Paradoxalement, El Oufa a réalisé son audit en associant les académies du royaume qui, grâce à leur contribution, ont permis de consolider les chiffres et présenter un audit plus au moins global. L’erreur d’El Ouafa est d’avoir agit sans consultation du Conseil supérieur de l’Enseignement et donc du Palais. Or, nous savons que le Conseil était en hibernation depuis la mort de Belefqih en 2010. Un détail qui ne semble pas peser dans la balance puisqu’en politique les raccourcis sont la règle et non pas l’exception.

El Ouafa paiera donc pour son « incompétence supposée» mais aussi et surtout pour son audace. Un lynchage devenu nécessaire après sa disgrâce « chabatienne » et son limogeage n’est qu’une question de jours. Le remaniement attendu passera par le fauteuil d’El Ouafa qui encore une fois, dans le royaume des confusions de responsabilité, portera le chapeau de la déconfiture de la réforme l’enseignement… seul.

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